Le monde de l’épargne a 40 ans de retard sur celui de la recherche sur le sida…

//Le monde de l’épargne a 40 ans de retard sur celui de la recherche sur le sida…
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Par François Faure – Fondateur de RéseauCEP.

Les épargnants sont-ils maîtres de leur épargne ? Lorsqu’un gérant décide en toute indépendance de l’affectation des investissements de l’épargne qui lui est confiée, il confisque aux citoyens épargnants leur capacité d’auto détermination, comme un médecin qui administrerait en toute indépendance un traitement à des malades avec pour seule information les notices de ces médicaments. Nous serions donc en matière d’épargne quarante ans en arrière, comme au début de la lutte contre le sida, dans les situations dénoncées par Daniel Defert1, fondateur de Aids. Il y a dans ces situations de soins ou d’épargne des aspects similaires : la capacité ou non, à participer à un processus qui concerne prioritairement la personne, la capacité à faire un choix en fonction de valeurs personnelles (durée de vie ou valeurs sociétales), la relation avec des institutions fondées sur des connaissances complexes (la médecine ou la finance) et surtout la confiance dans ces institutions pour rester certain qu’elle ne confisqueront pas la capacité personnelle à maitriser le but de son action ou de son existence. Il s’agit donc sur le fonds d’une question morale : la confiance que l’on porte à l’institution dans sa pratique du respect de l’autonomie des personnes (auto nomos : qui se fixe ses propres buts).

La confiance est une notion clef en économie. Elle se décline sous plusieurs aspects :

  • La confiance qui se matérialise lors d’un échange contractuel : les deux parties s’engagent à une réciprocité. Mais, celle-ci étant rarement simultanée, une des parties fait toujours le premier pas, la livraison par exemple, et l’autre honore dans un second temps la réalisation du contrat. Rien de cela ne serait possible sans le préalable de la confiance.

  • La confiance dans la solvabilité d’un état : l’exemple Libanais est là pour nous montrer combien une société est fondée par sa capacité à garantir le remboursement d’une dette collective au risque de basculer dans une crise profonde qui interdira l’utilisation de la liquidité dans la vie quotidienne, projetant ainsi la population dans une situation dramatique.

  • La confiance dans les échanges interbancaires : La fiabilité des informations détenues sur la contrepartie est indispensable au bon fonctionnement des échanges. Une absence de diligence des commissaires aux comptes ou bien des comptabilités truquées amèneront inévitablement à une insolvabilité lors d’un échange de titres. Une réaction en chaine s’ensuivra qui pourra mettre en péril l’ensemble d’une économie.

  • La confiance dans la solvabilité d’une compagnie d’assurance : l’absence de confiance dans la solvabilité d’une compagnie d’assurance dissuadera les épargnants de lui confier leurs avoirs dans une perspective de long terme au risque de ne pas percevoir les rentes de retraite promises ou de se retrouver face à une situation d’insolvabilité lors de la récupération de son capital.

Ces quelques exemples sont non exhaustifs : il serait possible d’ajouter la confiance dans des marques, des labels, des normes…

La place de la confiance dans les relations sociales a muté au fil des siècles. Dans les sociétés holistes, la confiance dans la parole était le fondement des transactions et des comportements. Celui qui faillait était immédiatement sanctionné par une exclusion du groupe et sa sécurité voire sa survie étaient mises en jeu. La modernité et l’accroissement de la place du sujet dans des sociétés individualistes ont requis une part de plus en plus importante des relations contractuelles écrites. Le fondement de la société a donc glissé de la coutume et de la force du groupe vers le droit et la force de la justice.

Donc, nous modernes, fondons notre confiance dans des institutions juridiques, règlementaires ou normatives. Le non- respect des lois, règles ou normes entrainera une décision de justice et des conséquences en termes de compensation financières, de réparations, des sanctions pécuniaires, des interdictions professionnelles ou d’accès à un marché…

Mais, s’il est dit que personne n’est censé ignorer la loi, force est de constater que personne ne connait toute la loi. La complexité et la spécialisation juridique, l’enchevêtrement des lois, règlementations et normes rendent les règles de fondement de la confiance opaques à nos concitoyens.

Un des leitmotivs des ronds-points à l’automne 2018 était la perte de confiance dans les institutions. La réponse fut la promesse faite par les populistes de rendre les choses claires et lisibles avec un chef qui décide. La méconnaissance, par nombre de nos concitoyens, du fonctionnement des institutions, du rôle du conseil d’état, de la cour de cassation, des procédures législatives ont fait le lit de l’aspiration à la confiance dans un pouvoir illibéral.

Cette érosion de la confiance se manifeste aussi à l’égard de la science. La faible confiance vaccinale des français en pleine crise du Covid en témoigne. Le fondement de la démarche scientifique, observations, hypothèses, expériences et mise en critique des résultats avant validation est méconnue par une fraction de la population. La dimension critique de la science disparait devant l’imagination prêtée aux intérêts personnels des scientifiques à la solde de Big Pharma, voire dans le pire des cas aux théories du complot…dont l’histoire nous enseigne qu’elles font partie du fonds de commerce de l’antisémitisme.

Lors de son interview sur France culture le 19 décembre 2020, Yazdan Yazdanpanah2 rappelait que, pour tenter de surmonter la forte défiance vaccinale, l’exécutif s’est résolu, après de nombreuses demandes en ce sens, à se doter d’un nouvel outil. Un comité citoyen sera désormais associé à la conception de notre stratégie vaccinale3 . Il faisait aussi référence à l’expérience de l’ANRS4 qui fut un grand succès d’implication des citoyens et des associations de malades dans la lutte contre le Sida. La problématique évoquée par Yazdan Yazdanpanah réside dans l’amélioration de la compréhension de la science par la population. Pour la future agence de recherche sur les maladies infectieuses et émergentes dont il va prendre la direction, il voit quatre nécessités :

  • La représentation des citoyens dans le conseil d’orientation de l’agence.

  • L’implication des citoyens et des associations de patients en amont des groupes de travail pour déterminer les axes de recherche.

  • L’organisation de groupes autour des sciences humaines et sociales en intégrant des citoyens pour réfléchir aux problématiques de lien avec la population générale.

  • La communication à la population sur la recherche et les essais cliniques.

La question qui préoccupe Yazdan Yazdanpanah est celle de la compréhension de la recherche par la population pour rétablir le sentiment de confiance. Il lui semble donc évident et incontournable que le retour à la confiance passe par l’implication des citoyens à divers degrés de la recherche.. Nous pouvons relever une grande similitude avec le défi qui se pose aux compagnies d’assurances et aux banques dans la diffusion auprès du grand public de produits d’investissements socialement responsable (ISR). La faible connaissance de l’ISR dans le grand public est liée à la complexité des processus d’investissement, à la compréhension des produits, à la faible lisibilité des labels, à la confusion avec le private equity ou l’épargne solidaire, au besoin de sécurité.

Gageons que la nature du défi est similaire à celui de la diffusion vaccinale : convaincre la population des vertus de l’ISR pour l’épargne à long terme en protégeant l’environnement, les hommes au travail et la transparence dans la gouvernance des entreprises. Il est donc question de créer un lien avec la population des épargnants pour qu’une meilleure connaissance se diffuse et que les épargnants accordent plus naturellement leur confiance à des fonds ISR.

Mais comment les épargnants peuvent-ils exercer des choix clairs dans un univers qu’ils ne maitrisent pas, tant au niveau de la vie des entreprises que des secteurs d’investissements, voire de thèmes d’investissements qui leur restent absconds ? La valeur d’un investissement à terme est in fine le produit d’un contrat social passé entre les détenteurs du capital et les forces de travail dans l’entreprise pour produire des biens ou services dont la valeur sera évaluée par les consommateurs qui jugeront du prix, et dont le feedback financier participera à la valorisation de l’épargne. Que l’un d’entre eux vienne à manquer et le contrat failli. Or les épargnants individuels, rassemblés en OPCVM, sont l’équivalent de patients auxquels on administre un traitement en promettant des effets sur le long terme : la valorisation de l’épargne investie. Ils sont en situation de sujétion à l’égard du gérant qui peut valoriser ou déprécier leur épargne par ses choix, mais aussi des citoyens épargnants préférant tel ou tel effet positif de leur investissement sur le monde et l’environnement à l’instar de malades préférant tel type d’organisation des soins.

Les épargnants sont donc engagés en tant qu’actionnaires, citoyens et aussi consommateurs. Leur comportement d’épargnant n’est pas étanche aux influences de leur mode de consommation, de leurs opinions citoyennes et de leur sensibilité aux marchés. Mais, il est impossible de dénouer les cheminements individuels qui construisent les choix des épargnants. La relation de chacun a son épargne est fondée sur l’individualisme des craintes et des désirs. Nous sommes face à des boites noires dont la lecture claire et directe est impossible. La pérennisation de l’épargne des citoyens est donc liée à la mise en œuvre de cette boite noire qu’est l’épargnant, actionnaire et citoyen. L’émergence de cette boite noire dans le champ social se fait par l’affirmation des valeurs, ces choses auxquelles on croit et qui nous fondent. Fonder une épargne sur des valeurs est quasiment un truisme : l’argent, l’environnement, le social sont des valeurs qui émergent dans le champ social et qui sont partagées par tous les épargnants mais avec évidement des proportions diverses. Réintégrer les valeurs des épargnants dans le champ des choix de l’épargne suppose de prendre en compte ces valeurs. Encore faut-il qu’à priori aucune valeur ne prévale sur les autres. Leur hiérarchisation ne peut être dans une société libérale et démocratique que le fruit d’un vote un homme, une voix. La mise en œuvre de ces valeurs se retrouvera dans trois compartiments d’investissements les exprimant : environnement, social et croissance responsable. Subsidiairement, les gérants pourront alors affecter l’épargne en toute indépendance sur la base de leurs compétences techniques.

L’auto détermination collective est un outil qui est à l’origine de succès dans la lutte contre le sida par l’implication des patients qui ont pu s’exprimer et décider pour leur propre personne. La confiance, lien entre les malades, les soignants et les institutions, s’est considérablement renforcée depuis le début de l’épidémie de sida, à un point tel qu’aujourd’hui personne ne la remet en cause sérieusement. L’expression des valeurs dans le champ de l’économie par une requête démocratique un homme, une voix pratiquée annuellement et le développement d’une communication claire sur la chaine de décisions qui produit l’ISR sont des outils inutilisés en épargne. Cette inutilisation de l’empowerment (auto-détermination collective) risque de contrevenir à une réelle appropriation de l’ISR par les épargnants. Il est assez clair que la première organisation de collecte d’épargne qui mettra en place l’empowerment pour permettre à ses clients d’exprimer leurs valeurs sur la base d’un homme une voix, prendra un réel temps d’avance sur ses concurrents en créant des conditions d’une réelle confiance dans ses propositions.

1 Daniel Defert, Une vie politique, Entretiens avec Philippe Artières et Éric Favereau, Le Seuil, Paris, 2014, p.104 : « Jusqu’à mon séjour en Angleterre, je ne savais rien sur le sida. Ce qui m’a motivé initialement, c’était le droit de mourir informé : une mise en question de cette relation précautionneuse ou mensongère dans la relation médecin malade. C’est quand même ce qui a été négocié au fil des années par Aides, jusqu’à la loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades. »

2 Yazdan Yazdanpanah chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Bichat, directeur d’études à l’Inserm, membre du conseil scientifique va prendre la tête en janvier prochain d’une nouvelle agence de recherche sur les maladies infectieuses et émergentes, qui regroupera le consortium Reacting de l’Inserm et l’ANRS, l’Agence de recherches sur le sida et les hépatites virales. 

3 Le Monde du 16.12.2020

4 Agence Nationale de Recherche contre le Sida

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