La vocation de l’épargne est d’être rentable. C’est une loi d’airain. Les professionnels de l’épargne sont confrontés à un changement de panorama que l’on nomme le backlash, le retour de bâton. Le vote de la loi omnibus le 12 novembre 2025 qui revient sur les avancées européennes en matière de RSE, le ras le bol des citoyens à propos des ZFE, DPE, ZAN sont-ils des signaux auxquels les professionnels de l’épargne devraient s’adapter pour ne pas être à contre-temps de ce retour de bâton ? Faut-il renoncer à l’évolution des offres d’épargne responsable car elles ne seraient plus dans l’air du temps ? Faut-il se concentrer sur une offre d’épargne indicielle ou ETF pour satisfaire une demande hémiplégique qui ne se soucie pas de l’économie réelle, de l’environnement et du social mais uniquement de performances financières ?
Deux textes marquaient une avancée de la RSE en Europe : le devoir de vigilance, adopté en 2022 et la CSRD en 2024. Ces deux textes ont fait l’objet d’une réforme de simplification dite loi omnibus, certainement en partie nécessaire. La simplification s’est transformée en détricotage.
La CSRD oblige les entreprises à déclarer elle mêmes, leurs fournisseurs et leurs sous-traitants pour leurs pratiques RSE : émissions de CO2, gestion de déchets, écarts de rémunération hommes femmes, politique d’intéressement. Le jeudi 12 novembre 2025, le parlement Européen a abaissé le seuil d’application de 92%, passant de 42500 sociétés à 3400 sociétés de plus de 1750 salariés et à 450 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Le devoir de vigilance, avec une entrée en vigueur en 2027, devait obliger les entreprises à traquer les atteintes aux droits humains (esclavage, travail des enfants, exploitation…) ou à l’environnement sur l’ensemble de leurs chaines d’approvisionnement mondiales. Les seuils s’élèvent désormais à 5000 salariés et 1.5 millions de CA.
Certes, les obligations subsistent en théorie, mais le mécanisme européen de responsabilité civile a été effacé. Il prévoyait que les multinationales pouvaient être tenues responsables des dégâts causés par leurs activités. Les pénalités financières ont aussi été rendues très improbables. La cerise sur le gâteau est que les entreprises ne sont plus contraintes d’élaborer un plan de transition climatique !
Paradoxalement, les citoyens, lors de toutes les enquêtes, sont largement favorables à une épargne responsable qui prend en compte l’environnement et les questions sociales. Les questions de santé et de justice sociale sont fondamentales pour le grand public. Deux exemples en témoignent. Le premier est l’opposition à la loi Duplomb. Deux millions et demi de personnes ont signé la pétition contre cette loi, preuve que les citoyens sont préoccupés par leur santé. Le second est le succès du leasing social pour l’acquisition d’une voiture électrique, preuve aussi que les mesures écologiques fonctionnent lorsqu’elles sont accompagnées de mesures sociales.
La question du backlash n’est pas une question de citoyens, de consommateurs ou d’épargnants, c’est une question construite par des partis politiques qui sont les relais d’intérêts industriels. Nous voyons à qui profite le crime. Ainsi, en témoigne le soutien des industries polluantes à la campagne de Trump.
Il semble donc indispensable de prendre en compte la demande des épargnants en les accompagnant par des offres d’épargne responsables, lisibles et concrètes. Le balisage de ces offres repose sur l’utilisation des labels (ISR, Greenfin, Fair, Towards Sustainability ) gages d’objectivité de la proposition responsable et sur des formules d’épargne qui rattachent le citoyen à l’économie réelle plutôt qu’à l’abstraction des indices ou ETF.
Mais le chemin est escarpé car les esprits sont encore embrumés par la fascination des évolutions des indices qui obstruent le regard sur la vie réelle. A cet égard, Le reproche que l’on peut adresser à beaucoup de professionnels de l’épargne est de ne pas éclairer suffisamment les épargnants sur la réalité de l’économie et les conséquences environnementales, sanitaires et sociales d’investissements peu attentifs à l’épargne responsable.
Sur la porte de l’Enfer de Dante il est écrit : ici abandonne toute espérance. Ne nous laissons pas emporter par le backlash, mais transformons nos offres d’épargne pour participer au maintien de conditions d’existence et une cohésion sociale qui ouvrent un chemin à nos enfants. C’est le devoir de notre génération. Les épargnants nous en remercieront.