Par François Faure – Fondateur de RéseauCEP.
L’investissement socialement responsable pourrait-il être un outil pour changer efficacement le monde de demain ? Proposer à ses clients d’épargner avec des UC qui ont investi chez Philip Morris, Exxon ou Bayer Monsanto est-ce bien rendre service aux clients, à la pérennité de notre portefeuille clients et à nos enfants ? Plus encore que la gestion de conviction, l’ISR par sa pratique de discrimination des valeurs et de dialogue actionnarial est une méthode d’investissement active et responsable, car elle influence fortement les orientations des entreprises.
Dans l’histoire, ce sont les Quakers aux XVII ème et XVIII ème siècles qui refusèrent d’investir dans les marchés d’armement et le trafic d’esclaves. Les fonds éthiques ont été lancés aux Etats Unis et en Grande Bretagne dans les années 1920 à l’initiative de congrégations religieuses protestantes pour mettre en cohérence leurs stratégies d’investissements en refusant d’investir dans certaines valeurs. Les fonds éthiques sont nombreux aujourd’hui dans le catholicisme. L’activisme actionnarial, lui, est né dans les années 1920 aux Etats Unis, le Krach boursier ayant été perçu comme le manque de transparence des entreprises. L’exercice du droit de vote s’est développé à partir des années 1970 avec la montée en puissance de mouvements pacifistes et écologistes notamment lors de la guerre au Vietnam. Des entreprises comme Dow Chemical qui fabriquait du défoliant utilisé par l’aviation au Vietnam se retrouvèrent sous la pression de certains de leurs actionnaires. Pendant l’Apartheid en Afrique du Sud, Coca Cola, Goodyear, IBM, Mobil…furent obligés de se retirer sous la pression des investisseurs.
Aujourd’hui, nos clients sont attentifs aux performances, mais sont inquiets de l’utilisation par la finance de la destination de leur argent. Il est nécessaire de les rassurer sur le caractère responsable de nos offres d’épargne. L’ISR est donc une manière de montrer à nos clients que nous sommes à leur écoute. L’ISR est aussi une occasion pour les agents généraux d’expliquer à leurs clients que les principes pour l’investissement responsable ( PRI) lancés en 2006 reprennent les objectifs du PNUD (programme des nations unies pour le développement), consommation et production responsable, eau propre et assainissement, égalité entre les sexes, lutte contre le changement climatique, énergie propre et d’un coût abordable, vie aquatique, vie terrestre, travail décent et croissance économique , innovations et infrastructures….sont intégrés dans leur épargne.
La loi Pacte adoptée le 16 mars 2019 contient plusieurs dispositions destinées à renforcer l’offre verte et solidaire dans les contrats d’assurance-vie :
- Une obligation depuis le 1/1/2020 d’inclure au moins une unité de compte (UC) labellisée ISR dans tous les contrats. La présence d’une UC labellisée ISR ( label officiel sous l’égide de Bercy) apporte à nos clients la garantie d’absence de greenwasching.
- Une obligation à partir du 1/1/2022 d’inclure, en complément, au moins une UC verte et une UC solidaire. L’UC verte labellisée Greenfin est une UC dont les investissements sont tournés vers la transition énergétique et une UC solidaire est une UC dont minimum 5% et maximum 10% sont investis dans des entreprises à d’utilité sociale et solidaire ( ESUS : décret du 23 juin 2015).
- Une mention obligatoire à partir du 1/1/2022, en amont de chaque souscription, du pourcentage d’UC labellisées présentes dans le contrat.
La finance durable a encore un long chemin devant elle dans les contrats d’assurance vie. Les UC, ces supports d’investissement positionnés sur les marchés financiers, ne représentent qu’une petite partie des 1 700 milliards d’euros d’encours de l’assurance-vie, autour de 20 % selon la Fédération française de l’assurance (FFA), le reste étant composé de fonds euros. Des sociétés de gestion comme Ecofi, Mirova, Meschaeert… sont spécialisée dans l’ISR. Mais les grands acteurs, AXA IM, ALLIANZ GI, Amundi, Pictet…. sont aussi présents sur cette catégorie d’offres.
La loi va néanmoins plus loin que l’engagement pris en 2018 par la FFA d’inscrire à leurs contrats une UC à caractère ISR, climat ou solidaire. Elle crée un cadre incitatif, comme cela avait été le cas en 2010 pour l’épargne salariale : l’obligation de proposer un fonds solidaire a permis de faire décoller ces financements. Aujourd’hui l’épargne salariale est le principal vecteur de l’épargne solidaire.
Reste aux assureurs à construire une offre claire et lisible pour les clients. Mais il est certain que les réseaux de distribution et notamment les agents généraux se heurtent à des écueils encore nombreux. Citons les pèle mêle : la méconnaissance des différences entre la mention ESG et les labels ISR , Greenfin et Finansol, la suspicion que l’ISR serait moins rentable que les fonds classiques, la confusion entre fonds sectoriels et fonds à impact, la diversité de propositions d’investissements thématiques ESG et non ISR, l’incompatibilité de l’ISR avec la gestion indicielle, la confusion entre les fonds solidaires et le private equity solidaire…ajoutons à cela, la pression des compagnies pour la distribution de fonds structurés plus rentables et plus simples à vendre et l’arrivée des fonds relances. Bref, un agent général, même spécialisé en vie, n’a pas encore une boussole très claire pour ne pas se perdre.
Si l’ISR est très bien intégré par les sociétés de gestion, il est loin d’en être de même pour les réseaux de distribution. Or il y a là une opportunité pour les agents généraux. Par nature, nous sommes plus réactifs et plus impliqués que les réseaux bancaires dans la relation client. L’ISR nous offre la possibilité de montrer aux clients que nous prenons en compte les grandes mutations du monde et que nous sommes au cœur de la société. Cette différenciation nous ouvre des possibilités de développement de notre activité en UC qui est congruente avec la nécessité de limiter la part du fonds euro, la prise en compte d’un rendement sur le long terme pour les épargnants et la réponse aux défis du monde contemporain.
Il s’agit donc d’une évolution culturelle indispensable pour les agents généraux. Mais, Il n’est pas certain que toutes les compagnies aient mis en place des plans de formation ISR. Donc, chacun pourra améliorer sa culture ISR avec les sites suivants : citons en premier Novethic, média incontournable de l’ISR, ensuite le Label ISR pour comprendre les critères du label, Finansol pour comprendre la finance solidaire, le FIR (Forum pour l’investissement responsable) pour mieux cerner les acteurs et les actions de la place, ReseauCEP pour vision engagée de l’ISR par l’empowerment, les interventions du professeur Christophe Revelli sur You Tube. Deux ouvrages sont aussi à consulter : l’investissement socialement responsable , de Brito César, Economica, 2005 et Empowerment et finance, François Faure, l’Harmattan à paraitre en mars.