L’Epargne est un lien social

//L’Epargne est un lien social

Les deux financiers appellent à mieux refléter dans la gestion des investissements, la préférence sociale pour un avenir durable.

Combien de gérants de fonds ont vu leurs plans déjoués par le Covid, la guerre en Ukraine, le retour de l’inflation, et comment prendre en compte dans les allocations d’actifs, le danger Trump, les tensions autour de Taiwan, la politique nucléaire de l’Iran, la poussée des extrêmes droites en Europe ? Ces crises multiples sont pour certaines imprévisibles, et pour la plupart, échappent à toutes les législations, en défiant parfois la raison. Nous sommes contraints de les affronter comme des poussées tectoniques.

D’autres faits aussi sont là : le réchauffement climatique, l’effondrement de la bio -diversité et la raréfaction des ressources naturelles. Sur ces faits- là, connus, attendus, les Etats, les entreprises, les consommateurs et la finance peuvent agir. Ces faits là nous obligent à une transformation de nos modes de vie : devenir plus sobres et plus solidaires.

A la racine de ces faits, il y a évidemment la question de la quête du profit, indispensable aux investissements pour la transformation de l’économie. Celui-ci est défini par les normes comptables internationales. A quelques exceptions près, les entreprises Labelisées B corp, la plupart des grandes entreprises cotées ne sont pas des entreprises à mission. Elles sont calées sur l’objet social de l’entreprise qui est le profit pour les actionnaires. La responsabilité fiduciaire des représentants des actionnaires est la défense de leurs intérêts financiers. C’est l’orthodoxie.

Nous voyons bien la déconnexion entre cette orthodoxie et le réchauffement climatique. Un profit qui ne prend pas en compte ces contraintes est un faux profit car il soustrait de l’argent au corps social et à la nature, sans se préoccuper de leur pérennité. Une responsabilité fiduciaire « responsable » a donc deux faces : celle de l’objet social des entreprises (entreprises à mission) et celle des investisseurs, la recherche d’un rendement associant des critères de durabilité.

La règlementation européenne SFDR ( sustainable finance disclosure regulation) prend en compte ces contraintes en classant les investissements destinés aux particuliers selon leur degré de mise en œuvre de moyens permettant d’évaluer les politiques environnementales, sociales et de gouvernance des entreprises. Si la mise en œuvre des moyens est satisfaisante, le profit de l’actionnaire ne devrait pas être un faux profit. Nonobstant certaines interrogations sur cette règlementation, nous devrions être sur le bon chemin.

Mais il semble que l’on ait perdu de vue l’objet réel de cette règlementation : les hommes qui vivent sur cette terre (ils n’en ont pas d’autre) en épargnant chaque année une fraction du fruit de leur travail pour les études de leurs enfants, leur retraite ou leur logement. Ce sont eux qui sont la finalité de cette machinerie financière et règlementaire, pas le profit qui n’est qu’un moyen. La préservation de l’environnement ou la transition économique sont les chemins qui conduisent à cette finalité qui est la vie bonne. Certes, la vie bonne diffère selon nos opinions personnelles. Mais la vie bonne est collective, pas individuelle. Une vie bonne, dans un château, au milieu d’un dépotoir, sous un ciel de plomb et assailli de mendiants, n’est pas la vie bonne.

Or, le code monétaire et financier n’est pas aligné sur l’objectif de la vie bonne. Le gérant est le seul garant de l’intérêt fiduciaire des épargnants qui lui confient leur argent. Sa seule boussole est le rapport rendement / risque sous la contrainte de la règlementation SFDR. Bien sûr le règlement MIF II va contraindre les assureurs et les banquiers à interroger les clients sur leurs préférences en matière d’investissement.

Mais deux écueils très techniques surgissent. Premièrement, on ne voit pas très bien comment les préférences individuelles des épargnants pourront être répliquées dans des gestions sous mandat collectif. Deuxièmement, la responsabilité fiduciaire des gérant et les techniques de gestion qu’elle impose de mettre en œuvre ne seront pas toujours compatibles avec les options individuelles des épargnants. S’y ajoute un troisième écueil, moral celui-là : un ensemble de préférences individuelles ne fait pas société si elles ne sont pas exprimées à égalité et agrégées.

Il faut donc concilier la responsabilité fiduciaire des gérants avec les préférences des épargnants et permettre que celles-ci soient appliquées tout en respectant l’indépendance du gérant.

La solution est simple. Il faut sortir de la réduction de l’épargne à un acte individuel et penser l’épargne comme un lien social. Car notre épargne est un bulletin de vote qui construit le monde de demain. Il faut donc permettre l’agrégation des votes individuels au sein des structures qui, comme les OPCVM, gèrent l’épargne .

Comment mettre en œuvre ce bulletin de vote sur une base démocratique, « Un homme, Une voix » ?

En posant aux épargnants la question : sur un total de 0 à 100, quel pourcentage attribuez-vous à l’environnement, à la bonne gestion sociale et à la croissance de transition ? Le gérant pourrait prendre en compte dans son allocation d’actifs le résultat consolidé du vote.

Ensuite, en faisant voter les épargnants pour apporter leur soutien public à des initiatives de dialogues collectifs des gérants avec les entreprises. La légitimité des gérants s’en trouverait renforcée dans le dialogue actionnarial.

A ce jour, cette démarche est rendue impossible par une conception restrictive de la responsabilité fiduciaire du code monétaire et financier. Pourquoi dans le sillage des retours d’expérience de la première année de MIF II, ne pas explorer l’idée d’une consultation démocratique des épargnants pour mieux intégrer leurs préférences ?

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