Par François Faure – Fondateur de RéseauCEP.
L’américain BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde va permettre à ses plus gros clients, qui représentent plus de 2.000 milliards d’actifs sous gestion de voter eux-mêmes dans les assemblées générales des entreprises dans lesquelles ils sont investis dès janvier 2022. ( Les Echos, le 11.10.2022)
Pourquoi cette disposition est-elle une annonce remarquable ? Quelles en sont les conséquences et les limites ?
BlackRock est un gérant indiciel. Par définition, il ne gère pas. Il propose à moindres coûts, c’est la promesse de la gestion indicielle, de reproduire un indice boursier. Juridiquement, c’est le détenteur des titres qui détient le droit de vote. Mais voter en assemblée générale suppose de mobiliser des compétences, faire des analyses, s’inscrire dans des coalitions, bref travailler. Cela a un coût. Le gérant indiciel ne le fait pas pour ne pas renchérir son offre de gestion auprès de ses puissants clients (fonds de pension, caisse de retraite, gérants sous mandats).
Mais de nombreux clients de BlackRock ne veulent plus que la prérogative de vote et son influence sur le changement climatique soient sacrifiées sous l’angle de la productivité de la gestion. Au Royaume Uni, l’association des fonds de gestion des investisseurs long terme recommande désormais que les investisseurs tels que les fonds de pension, aient une voix plus forte dans les votes en assemblée générale. Autrement dit, les investisseurs ne veulent pas renoncer, parce qu’ils ont choisi une gestion indicielle, à leur capacité d’engagement actionnarial pour influer sur la marche des entreprises. Et ce, d’autant plus que les indices socialement responsables dont se réclame BlackRock sur certains fonds sont soumis à de fortes critiques en raison de la faible part des entreprises liées à la décarbonation de l’économie ou à la transition énergétique dans leur composition. L’ESG portait le plus souvent sur la gouvernance d’entreprise (les Echos le 18.02.2020).
Donc BlackRock fait un joli coup avec cette annonce. Il ne se charge pas du poids financier et humain de l’engagement actionnarial, il satisfait ses clients et peut faire figure de gestionnaire vertueux pour désamorcer les critiques à l’encontre de la gestion indicielle prétendument socialement responsable. En 2020, BlackRock n’a voté que 3 résolutions de lutte contre le réchauffement climatique sur 36 assemblées générales d’entreprises américaines cotées. Il reste à State Street et Vanguard, qui, avec BlacRock, représentent 25 % du vote en AG du S&P 500, à suivre ce chemin.
Mais cela, et c’est le plus important, est une excellent nouvelle pour la lutte contre le réchauffement climatique et les autres sujets de l’engagement actionnarial.
Bien sûr, cela ne règle pas la question des indices de gestion « verte ». Premièrement, aucune règlementation ne définit des critères publics de composition. Ensuite, rétrocéder à ses investisseurs les droits de vote, consiste à diluer la capacité du gérant qui agrège les voix des investisseurs et à affaiblir la capacité de dialogue actionnarial avec les entreprises pour infléchir leur action. Or ce dialogue dans le cadre du say on pay ou du say on climate porte ses fruits. Enfin, les grands oubliés sont les premiers concernés : quelle voix est donnée aux épargnants qui ont confié leur fonds à leur assureur pour leur retraite afin d’influer sur une orientation de vote structurante pour la société de demain ? De ce point de vue, la décision de BlackRock reste très « business », mais pas politiquement transformatrice. Il manque un zeste de démocratie ou d’empowerment….