Par François Faure – Fondateur de RéseauCEP.
Nous essayons de poser sur l’investissement socialement responsable (ISR) un regard différent de celui des experts de la gestion d’actifs et de celui des professionnels de l’épargne. En effet l’investissement socialement responsable souffre d’une large méconnaissance par le grand public. Si 60% du public semble conscient de l’importance de l’impact environnemental et social dans ses décisions d’investissements, ce même public est désorienté entre les notices d’information légale totalement absconses des produits d’épargne responsable et les nombreux débats, universitaires ou grands public qui interrogent la légitimité de la finance sur ces sujets, tant elle est perçue comme la principale alliée d’un monde qui court à sa perte.
Nous postulons une autre position dans ce débat entre d’une part la légitimation de l’investissement responsable par la règlementation et, d’autre part, la dénonciation de la cupidité du monde de la finance. Nous considérons que l’action passe par des chemins praticables rapidement au cœur de la finance et du droit. Il y a un impératif urgent à transformer le code monétaire et financier pour en faire un outil intégré à la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation des ressources naturelles et la défense des droits des hommes au travail.
L’intégration du droit à l’effort de transformation économique est éclairé par un exemple historique. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne effondrée et dévastée, s’est reconstruite, relevée, sans jamais s’écarter de la démocratie et soulignons-le, d’une démocratie sociale. Cette reconstruction ne s’est faite ni à l’écart du marché, ni avec le marché, mais en dominant le marché par le droit. C’est l’ordolibéralisme allemand qui a ensuite servi de référence juridique dans la longue construction Européenne.
Dans cette logique, une certaine symétrie s’est imposée entre la dévastation de l’Allemagne en 1945 et les potentialités dévastatrices de l’effondrement environnemental. La finance doit être un outil de transformation environnemental, social et économique. Mais c’est la loi qui doit lui indiquer le chemin et non le marché. Il nous a semblé nécessaire de nous interroger sur deux possibilités d’évolutions législatives réalistes :
Premièrement, un écart subsiste entre le code civil, qui accorde aux sociétés le droit de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux dans leur activité et le code monétaire et financier, qui conserve un but exclusivement financier aux organismes de placement collectifs de valeurs mobilières. Cet écart contribue à la méconnaissance par le public de l’investissement socialement responsable et il enfume les épargnants dans l’épaisseur de règlementations incompréhensibles sinon par des professionnels, dont certains en tirent profit pour faire du « greenwashing ».
Deuxièmement, l’épargne des citoyens qui nourrit la finance reste administrée sans partage par la sphère financière. Le code monétaire et financier écarte toute démarche d’auto détermination collective des épargnants dans les organismes de placement collectifs de valeurs mobilières. Les conseils d’administration des Sicav sont occupés par les financiers. La gestion des fonds communs de placement est uniquement le fait des gérants. Les épargnants n’ont aucun droit consultatif. L’industrie de la gestion d’actifs a toute latitude pour faire passer ses intérêts avant ceux de la société et vendre de pseudos produits socialement responsables.
L’investissement socialement responsable et la démarche démocratique sont intrinsèquement liés pour prendre en charge la demande des citoyens de préservation de l’environnement, de gestion sociale et de croissance raisonnée. Il n’y a pas le code monétaire et financier et la technique de sélections des actifs d’un côté, avec ses gérants et ses sociétés de gestion et de l’autre des épargnants qui investissent dans des produits qui leur échappent.
Un chemin législatif et démocratique existe en cohérence avec les contraintes économiques et de gestion financière. Puissions-nous souhaiter que quelques forces législatives à l’esprit libre et aux convictions réformistes s’en emparent.
L’enquête nationale annuelle réalisée par Ifop du 26 au 28 août 2019 auprès de 1006 Français pour Vigeo Eiris, l’agence internationale de recherche et services ESG (Environnement, Social et Gouvernance) et le FIR (Le Forum pour l’Investissement Responsable) pour la 10ème année consécutive confirme l’intérêt des Français pour les produits d’épargne et d‘investissement responsable, et leurs attentes de conseil de la part des établissements financiers. Les résultats de l’enquête montrent le fossé existant entre la place importante que 6 français sur 10 accordent aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placements et la diffusion de l’investissement socialement responsable dans le grand public. En effet, 61% des personnes interrogées déclarent n’avoir jamais entendu parler de l’Investissement socialement responsable avant cette enquête. Seulement 6% des personnes interrogées déclarent s’être vu proposer de l’ISR par leur conseiller et uniquement 5% des Français déclarent avoir déjà investi dans un fonds ISR…